L’Intelligence artificielle : un outil de domination ou d’émancipation ?

Publié le 23 Jan 2025

Catégories : Scientia et Technologia

L’intelligence artificielle (IA) occupe aujourd’hui une place centrale dans le débat public, suscitant tant des espoirs que des craintes. Entre promesses de révolutions technologiques et risques de concentration du pouvoir, l’IA soulève des enjeux éthiques et politiques majeurs. Elle peut devenir un levier d’émancipation, mais aussi un outil redoutable de domination. La question fondamentale reste : peut-on concevoir une IA au service d’une société méritocratique et éthique ?

Une technologie à double tranchant

L’IA est souvent présentée comme un instrument neutre, une simple extension des capacités humaines. Cependant, cette perception occulte un fait central : l’IA reflète les intentions et les biais de ceux qui la conçoivent et la contrôlent. En ce sens, elle est tout sauf neutre. L’histoire récente regorge d’exemples d’IA qui ont reproduit ou amplifié des dynamiques de domination existantes.

D’une part, l’IA peut faciliter la concentration du pouvoir économique et politique. Les grandes entreprises technologiques contrôlent les modèles d’IA les plus avancés, renforçant ainsi leur position de quasi-monopole. Ces entreprises détiennent les données, les infrastructures et les compétences nécessaires pour développer des technologies à grande échelle, ce qui creuse les inégalités avec les acteurs plus modestes. Par ailleurs, l’IA est utilisée pour des fins de surveillance de masse, souvent sous le prétexte de la sécurité publique. Des régimes autoritaires exploitent cette technologie pour contrôler leur population, annihilant toute velléité d’opposition.

D’autre part, l’IA offre un potentiel émancipateur immense. Elle pourrait alléger le travail humain, optimiser les ressources, et ouvrir de nouvelles perspectives en matière de santé, d’éducation et d’accès à l’information. Les systèmes d’IA bien conçus peuvent aider à démocratiser l’accès aux opportunités en réduisant les biais systémiques dans des domaines comme le recrutement ou l’orientation éducative.

Le défi consiste à naviguer entre ces deux potentialités : éviter que l’IA ne soit instrumentalisée à des fins de domination tout en exploitant son potentiel émancipateur.

Les risques d’une concentration du pouvoir

L’IA, telle qu’elle est développée aujourd’hui, tend à renforcer les dynamiques de concentration du pouvoir. Les grandes entreprises technologiques, souvent appelées « Big Tech », sont les principaux détenteurs de cette technologie. Leur modèle économique repose sur l’exploitation massive de données personnelles, qu’elles collectent à travers leurs plateformes et leurs services. Ces données constituent le carburant des modèles d’IA modernes.

Ce monopole informationnel leur confère un avantage compétitif écrasant, limitant les capacités d’innovation des autres acteurs – qu’ils soient publics ou privés. Par conséquent, les grandes entreprises peuvent imposer leurs priorités et leurs valeurs au reste de la société. Cette domination économique s’accompagne souvent d’une influence politique : les gouvernements dépendent de plus en plus de ces entreprises pour la gestion des infrastructures critiques, ce qui les place en position de faiblesse face à leurs exigences.

Parallèlement, la surveillance de masse est facilitée par l’IA. Des technologies comme la reconnaissance faciale, les algorithmes de prédiction comportementale et les systèmes d’analyse des données permettent aux États et aux entreprises de suivre les individus à une échelle sans précédent. Si ces outils peuvent être justifiés par des objectifs légitimes (comme la prévention des crimes ou des attaques terroristes), ils posent des questions éthiques cruciales. Qui surveille les surveillants ? Comment éviter que ces outils ne soient détournés pour museler la dissidence ou manipuler l’opinion publique ?

Une IA au service de l’émancipation

Malgré ces risques, l’IA peut devenir un outil d’émancipation si elle est conçue et gouvernée dans une perspective éthique et méritocratique. Cela exige une rupture avec le modèle actuel de concentration du pouvoir et une refonte des objectifs de la technologie.

a) Démocratiser l’accès à l’IA

Pour éviter que l’IA ne soit accaparée par une élite technologique, il est crucial de démocratiser son accès. Cela pourrait passer par :

  1. Des plateformes ouvertes : Encourager le développement de modèles open source afin de permettre à des petites entreprises, à des étudiants et à des chercheurs indépendants d’y accéder.
  2. Des infrastructures publiques : Créer des data centers publics ou des coopératives numériques qui fourniraient les ressources nécessaires pour développer et former des modèles d’IA.

b) Intégrer l’éthique dans la conception de l’IA

Une IA émancipatrice doit être guidée par des principes éthiques rigoureux. Ces principes pourraient inclure :

  1. La transparence : Les algorithmes doivent être auditables et compréhensibles par les utilisateurs.
  2. La responsabilité : Les développeurs et les entreprises doivent être tenus responsables des conséquences de leurs technologies.
  3. L’équité : L’IA doit être conçue pour réduire les biais systémiques, et non pour les perpétuer.

c) Favoriser une société méritocratique

Une IA bien conçue pourrait contribuer à une société où les opportunités sont distribuées en fonction des compétences et des efforts, plutôt que des privilèges hérités.

Par exemple :

  1. Recrutement équitable : Les algorithmes pourraient évaluer les candidats sur la base de leurs réalisations et de leur potentiel, sans biais liés à l’origine, au genre ou au statut socio-économique.
  2. Systèmes éducatifs personnalisés : L’IA pourrait identifier les besoins individuels des élèves et proposer des parcours adaptés à leurs forces et faiblesses.

Conclusion : une IA sous contrôle humain

L’IA n’est ni intrinsèquement bonne ni mauvaise : elle est un outil, et son impact dépend de l’usage qu’on en fait. Pour qu’elle devienne un moteur d’émancipation plutôt qu’un instrument de domination, il est nécessaire d’établir des structures de gouvernance solides, d’encourager l’accès à la technologie et de promouvoir une éthique fondée sur la transparence et la responsabilité. Enfin, l’IA doit être mise au service d’une vision méritocratique, où les compétences et les efforts sont valorisés au-delà des privilèges.

Si l’humanité parvient à répondre à ces défis, alors l’IA pourra devenir un véritable levier de progrès et d’émancipation collective.

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