La Dégradation de l’Art Littéraire en France au XIXᵉ Siècle : Conséquence de la Démocratisation
Publié le 31 Jan 2025
L’histoire de la littérature française, jusqu’au XIXᵉ siècle, est celle d’un art pensé et façonné par une élite intellectuelle exigeante, soucieuse de grandeur et de perfection. Mais avec l’irruption de la démocratie et l’extension du lectorat aux masses, la littérature a peu à peu perdu son caractère aristocratique, sacrifiant sa quête d’excellence sur l’autel de la rentabilité et du divertissement. Ce phénomène, visible dès la montée du roman-feuilleton et du paiement à la ligne, a marqué le début d’une longue dégénérescence de l’art littéraire, réduisant la production écrite à une marchandise, et la figure de l’écrivain à celle d’un fournisseur de sensations bon marché.
I. La Déchéance de l’Art sous la Tyrannie du Nombre
La littérature du XIXᵉ siècle se trouve progressivement soumise à une transformation qui marque un tournant fatal : la démocratisation du lectorat et, avec elle, la nécessité de produire en masse pour un public avide de divertissement immédiat plutôt que d’élévation intellectuelle. Là où l’écrivain classique visait à édifier, l’écrivain moderne se voit contraint de séduire.
L’essor des journaux et du roman-feuilleton joue un rôle déterminant dans cette métamorphose. La presse, avide de contenu pour fidéliser son lectorat, rémunère les écrivains non pas en fonction de la qualité de leur prose ou de la portée philosophique de leur œuvre, mais à la ligne. Cette pratique engendre un effet pervers : la dilatation artificielle des textes, la multiplication des péripéties gratuites et le recours systématique au sensationnalisme pour retenir un lecteur versatile. Là où Racine concentrait toute une tragédie en un vers, où La Rochefoucauld forgeait des pensées aussi concises que percutantes, les feuilletonistes du XIXᵉ siècle étalent leur prose dans une logorrhée sans relief.
Le roman-feuilleton, incarné par des auteurs comme Eugène Sue ou Alexandre Dumas (dont l’œuvre fut en grande partie rédigée par des nègres littéraires), devient ainsi un produit de consommation quotidienne, à la manière des séries télévisées modernes. L’écrivain cesse d’être un maître et devient un prestataire de services, soumis aux attentes du marché. La logique démocratique, en imposant ses exigences de masse, contraint l’art à se plier aux impératifs du divertissement populaire.
II. Victor Hugo : Un Génie Contaminé
L’un des rares écrivains à survivre à cette déchéance tout en en étant paradoxalement une figure emblématique est Victor Hugo. Génie incontestable, il parvient à conjuguer grandeur lyrique et engagement social, mais non sans se laisser contaminer par l’idéologie démocratique qui l’entoure.
Hugo incarne cette tension entre l’exigence aristocratique de l’art et la soumission au goût populaire. Ses œuvres, si elles restent d’une puissance stylistique et conceptuelle indéniable, trahissent néanmoins un glissement vers l’émotion facile et le pathos démocratique. Les Misérables en est un parfait exemple : sous prétexte d’une fresque sociale, le roman adopte parfois une sensiblerie excessive, où le peuple est idéalisé au détriment de toute rigueur aristocratique dans la représentation de la réalité humaine. Loin du tragique antique où l’individu s’affronte à un destin implacable, Hugo favorise un moralisme édifiant, proche du sermon chrétien, qui flatte l’aspiration égalitaire plutôt que de confronter l’homme à sa propre insuffisance.
Ainsi, bien que Hugo demeure un géant, son œuvre porte déjà en elle les germes de cette démocratisation de l’art qui finira par l’engloutir totalement à la fin du siècle.
III. La Littérature : De l’Art à la Marchandise
Le XIXᵉ siècle voit la transition définitive de la littérature d’un art à une industrie. L’édition devient un marché, les écrivains des producteurs, et les lecteurs des consommateurs. Ce modèle s’impose avec une brutalité implacable : à mesure que le public de lecteurs grandit, le besoin de flatter son goût remplace toute volonté de l’élever.
Zola, qui s’érige en maître du naturalisme, ne fait que pousser plus loin cette logique en prétendant soumettre l’écriture aux méthodes des sciences expérimentales. Mais en réduisant l’homme à un simple produit de son environnement social et biologique, il dépouille l’œuvre de toute ambition transcendante. L’écrivain devient un chroniqueur du trivial, un observateur passif des misères humaines, là où le créateur classique était un architecte de la grandeur.
La conséquence de cette dynamique est inévitable : une dissolution progressive de l’art dans une production de masse, où l’émotion immédiate supplante la réflexion, où l’effet prime sur la structure. Ce qui n’était qu’une lente contamination au XIXᵉ siècle deviendra une hégémonie absolue au XXᵉ, avec l’essor du roman de gare, du cinéma populaire et, plus tard, des séries télévisées. L’art aristocratique est définitivement vaincu.
Conclusion : Une Mort Annoncée
Le XIXᵉ siècle marque ainsi la première phase d’un processus qui aboutira à l’anéantissement de l’art littéraire dans sa forme noble. Si quelques figures subsistent et tentent de maintenir l’exigence, elles ne peuvent lutter contre la marée montante de la médiocrité démocratique. Ce qui faisait la force de la littérature – son intransigeance, son élitisme, son ambition de grandeur – se trouve peu à peu dissous dans un modèle consumériste où l’écrivain n’est plus qu’un producteur de contenu au service d’un lectorat informe.
La littérature, qui fut un art, est devenue un produit. Et comme tout produit, elle s’adapte à son marché, quitte à en perdre son âme.